mercredi 23 novembre 2016

Un autre coup de cœur, que je souhaitais partager avec vous depuis un moment sans parvenir à en trouver le temps : Profession du père, de Sorj Chalandon.

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Un livre magnifique sur la difficulté d'être le fils d'un père affabulateur, mythomane, paranoïaque, violent...

Avec une grande pudeur, Sorj Chalandon met en lumière le débat intérieur qui déchire tous les enfants confrontés à la folie d'un de leurs parents : comment choisir entre la trahison de soi-même, en suivant vaille que vaille les divagations parentales - ici, paternelles -, et l'insupportable trahison du parent concerné que constitue la moindre prise de distance. Conflit impossible à résoudre, et terriblement destructeur, puisque quelle que soit l'option retenue on ne peut en sortir que perdant.
En grande partie autobiographique, ce récit de la déchirure intime est également porté par un souffle d'aventure : le père est un héros, espion romanesque qui forme son fils au maniement des armes et à la vie de commando, ex-conseiller secret du Général de Gaulle qui projette néanmoins de l'assassiner pour rendre l'Algérie à la France, ancien parachutiste qui confie à son jeune fils des missions aussi dangereuses qu'excitantes.
Difficile de résister à un tel rouleau compresseur... D'autant que la mère, passive et résignée, se contente de regarder en silence le fils s'enfoncer, de mensonge en mensonge, dans la folie du père.

Porté par une langue simple, sans pathos, et une façon de raconter le pire avec tendresse et humour, Profession du père est tout simplement une merveille. Et s'il n'obtient pas, comme Laëtitia, mon prix personnel du meilleur roman de l'automne, c'est juste parce que... je l'ai lu cet été !


vendredi 4 novembre 2016

 Un vrai coup de cœur !

La nouvelle est tombée il y a deux jours: Laëtitia ou la fin des hommes, d'Ivan Jablonka, a obtenu le prix Médicis 2016.


Je ne suis pas une inconditionnelle des prix littéraires, ce serait même plutôt le contraire. En outre je n'aime pas beaucoup les effets de mode, quel qu'en soit l'objet. C'est pourquoi généralement je me tiens à distance des commentaires qui suivent le couronnement de tel ou tel ouvrage.

Néanmoins, cette fois-ci je vais faire une exception.
En premier lieu parce que le livre en question est exceptionnel.
Ensuite parce qu'il est tout aussi exceptionnel que le prix Médicis, dans sa catégorie roman, récompense un ouvrage qui n'a justement rien d'un roman.
Pour une raison très personnelle enfin : j'étais en train de le lire lorsqu'il a été distingué. Et déjà je pensais que je tenais là la matière de mon prochain billet.

Ivan Jablonka, écrivain et historien, professeur d'histoire contemporaine à Paris XIII, y retrace l'itinéraire de Laëtitia Perrais, assassinée en janvier 2011 près de Nantes. De sa naissance à sa mort, au gré de la vie cabossée qu'elle a connue avec Jessica, sa sœur jumelle.
Sur un tel sujet, les écueils étaient nombreux : sensationnalisme, misérabilisme, voyeurisme et autres petites bêtes en "isme" qui ont pour seul intérêt d'assurer les ventes.

Ivan Jablonka réussit le tour de force de les éviter tous.

Son récit est précis, documenté. Il a mené son enquête avec rigueur, et cela se voit.
Si nécessaire, il remonte dans les siècles passés pour mieux expliquer son propos (historien un jour, historien toujours !), sans pour autant s'encombrer de détails inutiles ou abscons. Il aborde ainsi, mine de rien, de nombreux thèmes qui agitent notre société : le poids de la famille et de l'éducation, l'école, la violence, en particulier celle infligée aux femmes, les services sociaux, la prison, la récidive, l'exploitation politique des faits divers... Chaque fois son analyse est pertinente, et jamais gratuite : c'est le parcours des jumelles qui l'amène à réfléchir sur ces sujets, et non l'inverse.

Parce qu'il est difficile d'y échapper malgré tout, l'émotion est sous-jacente, mais toujours retenue. Cela est dû en grande partie au style, limpide et sans pathos.

Enfin, je terminerai ce rapide tour d'horizon par le parti pris narratif. Ivan Jablonka mène en fait deux récits à l'intérieur du même livre, deux récits qui se répondent et s'éclairent mutuellement : celui de l'enquête policière, de l'instruction et du procès d'une part, et celui de l'existence de Laëtitia avant le drame d'autre part. Chacun d'entre eux respecte la chronologie qui lui est propre, et l'on passe de l'un à l'autre en changeant de chapitre. Le très grand intérêt du procédé est de ménager des pauses dans chaque récit, ce qui tient le lecteur en haleine tout au long de l'ouvrage. La lecture en est aisée, et, oserai-je ajouter, vivante...
Comme tout bon roman, finalement.

Bref, si vous ne savez pas quoi lire ce week-end, précipitez-vous sans hésiter : Laëtitia est de loin le meilleur livre que j'aie lu cet automne !